L’ennemi avance à grand pas au Nord-Kivu. Les cités, les localités, les villages, tombent les uns après les autres. On en compte pas moins de 20. Et les agglomérations qui par chance sont récupérées par l’armée tombent à nouveau quelques heures plus tard.
C'est curieux, c'est malheureux et c'est préoccupant. Dans l’opinion, la colère est palpable. Personne ne semble comprendre ce qui se passe réellement et encore moins les réalités du front qui échappent au public. Il est vrai que tout ne peut pas être mis sur la place publique. La guerre est un sujet manifestement sensible. Mais lorsqu'elle s'enlise et que la situation se dégrade, il est légitime de se poser des questions, les bonnes. Qu'est-ce qui ne marche pas ? Qu'est-ce qui manque ? Qu'est-ce qui bloque? Quels sont les défis? Les faiblesses et particulièrement qu’est-ce qui peut être fait pour régler la situation avant que les rebelles n’occupent la moitié de la province.
Pour le moment, les chiffres sont impitoyables. Selon les différents rapports établis par les organisations de la société civile, pas moins de 20 entités, dont des cités, des localités et des villages, échappent actuellement au contrôle de Kinshasa (Bunagana, Rangira, Kiwanja, Rumangabo, Rutshuru, Kishishe, Bwiza, Rugari, Ranguba, Mungo, Kabindi, Tongo, Chengerero, Biruma, Tamugenga, Kako, Rubare, Bambou, Katale, Rustiro, Nyamilima, Kitchanga, Mushaki…) Un total qui, si une véritable réévaluation n’est pas faite , continuera de croître dans les prochains jours.
Il est vrai que l’option de filtrer les communications ainsi que les informations provenant des lignes de front a été levée l’année dernière, à la genèse des combats, par le gouvernement central et l'armée régulière. Ce vide communicationel semble malheureusement avoir donné le flanc à l’ennemi pour distiller ses propres informations, causant une grande confusion dans l’opinion. Du côté du peuple, le sentiment de patriotisme a prévalu, car il n’a pas souhaité bousculer au départ les autorités. Mais cela a laissé d’innombrables questions sans réponses et des zones d'ombre. Plusieurs entités sont finalement tombées sans que nombreux ne le sachent. Entre-temps, les fausses informations se sont répandues à la vitesse du vent.
Actuellement, la situation sur le terrain, avec l'afflux massif de personnes déplacées vers Goma et Nyiragongo, fuyant leurs milieux qui sont maintenant occupés en grande partie par des éléments du M23, tend à démontrer, malheureusement, que notre armée, bien que déterminée, rencontre des difficultés énormes sur le terrain. Cette situation donne lieu dans l’opinion nationale à une vague de critiques à l'égard des autorités politiques et militaires. Cela devrait interpeller Kinshasa et le pousser à examiner de près cette problématique. Et comme la voie militaire est privilégiée, l’exécutif national se doit de réévaluer les opérations qui se déroulent dans l’Est du pays pour qu’il se fasse une idée de ce qui doit être fait pour améliorer les rendements des militaires présents sur les différentes lignes de front.
Mais également d’une autre part, certaines des causes de ce statu quo observé sur les champs de bataille au Nord-Kivu sont bien connues. Si certains pointent du doigt l'infiltration de l'armée par des éléments rwandais ou congolais au service de Kigali, pour d'autres, il s'agit d'une question de logistique, de gestion des militaires, notamment de leur restauration sur les lignes de front ainsi que de leurs soldes, maigres soient-elles. Il ne faudra pas non plus négliger la question de la distance entre le Nord-Kivu et la capitale Kinshasa. “C’est à 2000 Kilomètres”, avait déjà d’ailleurs dit malencontreusement l’un des visages de proue du pouvoir. C'est pour cette raison que la délocalisation de l'état-major de l'armée à Goma devrait être étudiée et pourquoi pas, la délocalisation temporaire des ministères de la défense et de la sécurité intérieure au fief du Nord-Kivu.
Quant à l'armée régulière, des voix s'élèvent depuis des années pour réclamer une réforme. Les mixages et les brassages qui ont eu lieu par le passé ont suffisamment désarticulé les FARDC, les laissant presque infirmes et informes. "Nous ne pouvons pas continuer à compter les morts comme si nous étions incapables de défendre nos compatriotes lâchement assassinés (...)", déclarait d’ailleurs le chef des forces armées lui-même, le président Tshisekedi, en mai 2022. Le chef de l'Etat, qui avait alors insisté sur les réformes au sein des FARDC, avait également dénoncé en juin 2021 la "mafia" au sein de l'armée et les "complicités".
Sur le plan politique, les autorités nationales devraient inviter le président honoraire Joseph Kabila et tous les anciens acteurs politiques qui ont dû faire face au Rwanda et à ses innombrables rébellions. Il s'agit de la survie de la RDC et de la protection de l'intégrité du pays. Les querelles politiques doivent être réduites au silence pendant qu'une solution radicale est trouvée pour l'Est du pays. C'est aussi une question de fierté nationale. Pour l'instant, les échecs des FARDC sont exploités à fond par les agresseurs de la RDC qui ne cessent d'insulter le géant de l’Afrique central.