Haut Katanga : redevance minière, opacité et clientélisme dans la gestion et l’affectation des fonds collectés pour les projets communautaires
Un peu plus de trois ans après la révision du code minier en République démocratique du Congo, à qui profite cette « manne financière, sur la collecte des 25% de la redevance minière dans le Haut Katanga », s’interroge Jeff Mbiya, « tant les informations sur sa gestion semblent être totalement frappées du sceau du secret ».
C’est le constat d’un rapport rendu public dimanche 29 août 2021, qui établit que les fonds collectés de la redevance minière ne sont pas toujours affectés à ce à quoi ils ont été légalement destinés, à savoir le financement des projets d’intérêt communautaire.
Le document de 5 pages consulté par CongoRassure intitulé « Haut-Katanga : plus de chaleur que de lumière dans la gestion des 25% de la redevance minière », montre que l’affectation de la redevance minière et des autres revenus du secteur minier perçus par la Province du Haut-Katanga ne correspond pas, dans la majorité des cas, aux objectifs qui leur sont assignés par les textes qui les créent.
Pourtant, selon l’article 242 de la loi n°18/001 du 09 mars 2018 modifiant et complétant la loi n°007/2002 du 11 juillet 2002 portant code minier en RDC, « 25% des fonds provenant de la redevance sont versés dans un compte désigné par l’Administration de la province où se situe le projet ».
Cette redevance vise à lutter contre la pauvreté et à améliorer les conditions socio-économiques de la population et de son environnement. Les bénéficiaires de la redevance minière sont les communautés locales et les autorités qui gèrent à leur profit. Il s’agit d’une sorte de compensation allouée aux personnes qui sont considérées comme les propriétaires des terres sur lesquelles les minéraux sont extraits.
A cet égard, on peut également citer la taxe provinciale d’intervention pour la réhabilitation des infrastructures urbaines et de drainage ainsi que la taxe incitative pour la création d’unités locales de transformation des concentrés instituées respectivement par les décrets n°0001 du 23 mai 2008 et n°003 du 16 novembre 2010.
Pour Jean-Pierre Muteba, ancien porte-parole du cadre de concertation de la société civile du Katanga : « Dans l’esprit de ces deux Edits, ces taxes avaient pour objectif de fournir à la province les moyens de sa politique pour le développement des infrastructures de base et ainsi combler le manque à gagner de la non application de la déduction de 40 % à l’assiette des recettes à caractère national, au profit du pouvoir central ».
Selon ce cadre et ancien délégué de la société civile au comité ITIE/RDC, la gestion de tous ces flux soulève actuellement plusieurs préoccupations en termes de transparence et de gouvernance.
Opacité dans la gestion
Les pratiques développées par les autorités du Haut-Katanga constituent un frein au développement des communautés impactées chaque jour par la pollution environnementale, les maladies pulmonaires, la destruction des maisons et tant d’autres dégâts au sein de la communauté à cause de l’exploitation minière, sans compter les camions remorqueurs qui détruisent les infrastructures routières en transportant de lourdes charges de minerais.
En effet, selon les chiffres officiels, la redevance minière a rapporté plus de 226,8 millions de dollars à la province du Haut-Katanga pour deux années cumulées de 2018 à 2019, ainsi que pour le premier trimestre de l’année 2020. Des chiffres qui ne correspondent pas à ceux dévoilés par le consortium Makuta ya Congo dans un rapport publié en novembre 2020 (lire : La redevance minière des entités territoriales décentralisées : Un casse-tête à résoudre), et qui indique que la province aurait perçu plus de 286 millions de dollars au titre de la redevance minière entre 2018 et 2019.
Des écarts déclaratifs qui, selon cette plateforme de la société civile, devraient être justifiés par les autorités provinciales. Car, ces nouveaux chiffres ont été déclarés par le chef de la direction provinciale des recettes du Haut-Katanga au comité de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) et publiés dans son rapport assoupli exercices 2018, 2019 et premier trimestre 2020 en mars 2021. Le rapport indique même que cette redevance a été payée par 38 sociétés minières basées dans cette province.
De plus, à l’ouverture de l’atelier d’amélioration du rapport susmentionné, le vice-gouverneur du Haut-Katanga, Jean Claude Kamfwa, a déclaré que c’était la première fois que les fonds de la redevance minière étaient déclarés à l’ITIE et que la province du Haut-Katanga déclarait également les 25% et autres revenus perçus dans le secteur minier.
Extrait du rapport ITIE RDC année fiscale 2018-2019 et premier semestre 2020
Pour la majorité des habitants de Lubumbashi interrogés : « le gouvernement provincial couvre la mauvaise affectation de 25% de la redevance minière derrière les quelques projets à impact rapide développés ici et là par les communes de Lubumbashi bénéficiaires de leur part de 15% de la redevance minière (…) ».
Ces mêmes habitants s’interrogent également sur l’affectation judicieuse et responsable de ces flux, surtout avec l’absence de grands chantiers dans la ville et dans toute la Province, notamment des écoles, hôpitaux et autres infrastructures d’utilité publique.
Il en est de même pour le protocole d’accord signé en juin 2019 entre la Province du Haut-Katanga et les entités territoriales décentralisées relatif à la création du fonds de solidarité et la clé de répartition de la part de la redevance minière entre ces entités.
Un protocole dénoncé par l’organisation non gouvernementale Cordaid, qui reproche aux autorités provinciales de récupérer une partie des 15% de la redevance minière dévolue aux ETD (rapport d’évaluation du code minier révisé RDC juin 2020).
Et selon les conclusions de ce rapport qui a évalué la mise en œuvre du code minier révisé en 2018 deux ans après sa promulgation, le Haut-Katanga serait l’un des mauvais élèves sur les 7 provinces minières concernées par cette évaluation.
Selon un agent de la Division provinciale des infrastructures et des travaux publics qui a préféré garder l’anonymat : « les grands chantiers ouverts dans la Province, notamment la construction du nouveau bâtiment de l’assemblée provinciale, de l’aéroport et du centre de santé de Kisanga, bien que partiellement financés, sont à l’arrêt par manque de financement depuis plusieurs mois et les autres travaux de réhabilitation des grandes artères de la ville de Lubumbashi, notamment l’avenue Kasavubu, Lumumba, les Sports et la route de Kasenga ont déjà été préfinancés grâce aux fonds collectés à partir des péages provinciaux et des taxes sur les routes et les concentrés », explique-t-il.
« Le gouvernement provincial du Haut-Katanga a signé des contrats de gage avec certaines sociétés qui récupèrent leur investissement auprès de la banque, ce qui ne facilite pas une certaine traçabilité et un suivi efficace de l’exécution de certains chantiers », dénonce une source au ministère provincial des Finances.
Cette information a été confirmée par le bureau du gouverneur de la province. Une autre source au ministère des Infrastructures, s’exprimant toujours sous couvert d’anonymat, regrette le fait que « les termes de la convention de préfinancement entre la province du Haut-Katanga et les entreprises qui s’étaient engagées à effectuer ces préfinancements n’ont jamais été divulgués afin de comprendre quel était l’engagement de la province en contrepartie de ces préfinancements, permettant ainsi un suivi cohérent ».
Budget unique : l’arbre qui cache la forêt…
L’analyse des budgets de la province du Haut-Katanga pour les exercices 2018 et 2019, montre que la redevance minière a largement contribué aux recettes provinciales.
Cependant, ces fonds n’ont pas été exclusivement alloués aux infrastructures socio-économiques de base comme l’exige la loi minière. Des sources concordantes au sein du bureau du gouverneur de province et du ministère provincial des Finances affirment que ces fonds ont été utilisés pour couvrir d’autres dépenses, notamment les coûts politiques et administratifs de la province, en violation du décret du ministre national des Mines concernant la gestion de ces revenus.
Ces informations sont corroborées par nos propres entretiens avec certains membres du cabinet de l’exécutif provincial, ainsi qu’avec des fonctionnaires des départements des infrastructures et des finances de la province du Haut-Katanga, qui estiment qu’il est difficile d’affirmer avec précision que tous les fonds collectés au titre des 25% de la redevance minière ont été directement affectés au financement de travaux routiers ou d’infrastructures. Et d’ajouter que sans la redevance minière, le gouvernement provincial du Haut-Katanga serait déjà en faillite
Selon D.K., qui travaille au cabinet du ministre provincial des Finances : « le principe de l’unité budgétaire signifie que toutes les recettes perçues par la province peuvent être mises dans un seul panier où elles constituent une seule enveloppe. La répartition se fait en fonction des priorités de la province définies lors de la préparation du budget.
Pour ce haut fonctionnaire provincial, les taxes sont regroupées dans un même fonds sans distinction quant à leur provenance. Il est donc difficile de distinguer les allocations par rapport aux priorités de la province et, en même temps, difficile de retracer ces allocations.
Dans ces conditions, il faut noter que l’affectation des revenus générés par la perception des redevances minières ne respecte pas l’objectif pour lequel ces redevances ont été instituées. Ce qui, aux yeux de certains, s’apparente à un acte de détournement. L’écrasante majorité des acteurs de la société civile estime, non sans raison, que les fonds issus de la redevance minière ne doivent pas être versés dans les caisses générales de la province, car ils ont été affectés par le législateur au financement exclusif d’infrastructures d’intérêt communautaire.
Pour illustrer ce point, les partisans de la thèse du détournement citent l’exemple du protocole d’accord signé entre le gouvernement provincial et la société minière SOMIKA pour la réhabilitation du pont effondré sur la route de Kipushi, dont le financement devait provenir des fonds collectés à partir des redevances dues à la commune annexe de Lubumbashi ainsi que celles dues à la chefferie de Kaponda, sans compter le cahier des charges que la SOMIKA doit réaliser en faveur des communautés impactées par ses activités, comme le prévoit la loi.
Face au refus catégorique du Grand Chef de la communauté Lamba du Haut-Katanga d’autoriser l’utilisation des fonds issus des redevances minières, alors que ces travaux relèvent de la compétence du gouvernement provincial, et sous la pression de la société civile, le Gouverneur Jacques Kyabula Katwe a finalement suspendu l’utilisation des fonds ETD en ordonnant l’annulation de ce protocole d’accord. Un autre exemple de détournement présumé des redevances minières est la gestion opaque par le gouvernement provincial du fonds de solidarité créé avec 10% des fonds de la redevance minière ETD. Une pratique dénoncée dans le rapport de Cordaid.
Un contrôle miné par le clientélisme politique
Tout semble verrouillé dans le Haut-Katanga en ce qui concerne la question de la redevance minière. Au bureau du gouverneur et dans l’administration provinciale, il est extrêmement difficile, voire impossible, d’obtenir des informations fiables. Nous avons essayé de nous tourner vers l’Assemblée provinciale, qui est l’autorité budgétaire, mais elle est trop souvent ignorée dans toutes ces transactions en violation de la loi sur les marchés publics. Elle n’intervient pas pour autoriser ces engagements, encore moins pour les ratifier, et enfin pour contrôler la conformité des fonds engagés par les compagnies minières à ce qu’elles étaient censées payer.
Cette pratique contrevient aux principes de la gestion budgétaire, qui interdit la pré-affectation des ressources fiscales et parafiscales, et ne permet pas leur contrôle ni même leur traçabilité.
Cette situation a été particulièrement dénoncée par les organisations de la société civile, qui estiment que « l’Assemblée provinciale, qui était censée contrôler et clarifier la question de la gestion, est restée une simple caisse de résonance.
Les initiatives visant à interpeller les membres du gouvernement sur cette gestion des recettes ont toujours été étouffées. Et pour cause, le gouvernement du Haut Katanga, avant le récent remaniement intégrant exclusivement des membres de la nouvelle coalition proche du Président de la République, était composé à 90% des députés élus dont les suppléants ne peuvent soutenir une motion ou une interpellation engageant la responsabilité directe du gouvernement.
Il en est de même pour le ministère des Infrastructures, « qui est devenu un simple service d’exécution, un service qui fait tout sans poser de question », se plaint un agent. À ce rythme, certains militants de la société civile et experts du secteur minier congolais s’inquiètent : « le code minier révisé risque d’être une occasion manquée d’assurer le développement communautaire dans la province du Haut-Katanga ».
Pour redresser la situation, les organisations de la société civile estiment que les organes de contrôle administratif, politique et juridictionnel doivent être mis à contribution pour assurer une gestion orthodoxe et une répartition responsable et judicieuse des redevances minières, étant donné que les ressources minières sont épuisables et non renouvelables. Leur caractère non durable appelle à la vigilance et à la responsabilité pour une gestion transparente et durable capable d’assurer leur développement et de les aider à préparer l’après-mine, car la province du Haut-Katanga ne peut pas compter éternellement sur elles pour sa survie et ses investissements futurs.
Adrien AMBANENGO [Extrait d’une enquête réalisée par Jeff MBIYA].