
Au cours de la semaine dernière au petit matin, l’air était lourd au carrefour de Majengo, un de ces postes de contrôle improvisés où les jeunes en treillis et kalachnikovs veillent sur les allées et venues dans cette zone sous contrôle du M23. Parmi eux, un jeune garçon au regard perdu, l’arme en bandoulière, est en faction. Il ne sait pas que sa mère, elle, est là… juste à quelques mètres, le cœur prêt à éclater.
Cela faisait plus de six mois que Joséphine (nom d'emprunt), une mère vivant dans le quartier Katoyi à Goma, n’avait plus eu de nouvelles de Junior, son fils. Il avait disparu un matin de février 2025. Les rumeurs ont rapidement convergé vers une vérité effrayante : Junior faisait désormais partie des enfants enrôlés de force par les rebelles du M23.
« Je suis venue discrètement… on m’avait dit qu’il était affecté à un poste ici. J’ai attendu dans le coin comme une voleuse. Et là… je l’ai vu. Mon fils… mon bébé. Il avait changé. Il portait un uniforme. Il ne m’a même pas reconnue tout de suite, » raconte Joséphine, la voix brisée.
Mais ce qui devait être un moment d’espoir s’est rapidement transformé en cauchemar. Lorsqu’elle s’est avancée pour l’interpeller, un autre combattant, plus âgé, l’a stoppée brutalement.
« Il m’a dit : “Tu ne dois pas lui parler. Tu t’en vas.” » Et malgré ses supplications, malgré ses pleurs, malgré les sanglots qui secouaient son corps, personne ne l’a laissée approcher.
Sur place, des témoins racontent avoir vu cette femme à genoux, le visage noyé de larmes, criant silencieusement le nom de son fils, sans un mot qui puisse sortir. Lui, de l’autre côté, restait figé. Il avait tourné la tête, les yeux mouillés, mais sans un geste.
« Je ne sais pas s’il avait peur… ou s’il ne me reconnaît plus… ou s’il n’a pas eu le droit de bouger. C’était lui. Mais c’était plus vraiment lui, » murmure Joséphine.
Dans l’Est de la République Démocratique du Congo, les récits de ce genre deviennent de plus en plus fréquents, mais rarement aussi visibles. Les cas d'enrôlements forcés, notamment d’enfants, se sont multipliés depuis la recrudescence des combats entre les FARDC et le M23. Des centaines de familles sont sans nouvelles de leurs enfants. Certains sont enrôlés, d’autres déplacés, et beaucoup… sont portés disparus.
Ce jour-là, Joséphine est rentrée à Goma sans son fils. Elle dit qu’elle ne sait plus quoi faire. Elle ne mange presque plus. Elle garde l’image de cette silhouette au carrefour de Kanyaruchinya.
« Je l’ai vu… mais on ne m’a pas laissé lui parler. C’est comme s’il était mort une deuxième fois. »
Ce témoignage illustre avec douleur la déchirure silencieuse que subissent les familles congolaises prises entre la guerre, les groupes armés et le mutisme des armes. Alors que les négociations régionales stagnent, des mères comme Joséphine restent suspendues à un espoir fragile : celui de revoir un jour leur enfant… libre. [Ndlr]
La Rédaction