L'Est de la République Démocratique du Congo (RDC) est depuis près de trente ans le théâtre d'une instabilité persistante. Ce chaos, caractérisé par des conflits armés transfrontaliers, une insécurité communautaire endémique et une guerre par procuration, découle de dynamiques géostratégiques régionales et internationales complexes, mettant en lumière les défaillances structurelles de l'appareil sécuritaire congolais. Pour décrypter cette situation, le Professeur Alain Alisa Job Sambokera, spécialiste en géostratégie militaire et sécurité intérieure, et doctorant à l'Université de Douala au Cameroun, propose une analyse novatrice. Il remet en question les fondements actuels de la gestion sécuritaire dans l'Est de la RDC et préconise une réorientation stratégique axée sur la souveraineté nationale, le renforcement des capacités militaires et la mobilisation citoyenne.
Cette réflexion s'inscrit dans le cadre de sa seconde thèse de doctorat, consacrée aux approches doctrinales et géostratégiques de la sécurité intérieure en Afrique centrale, avec un accent particulier sur la situation congolaise. Le chercheur affirme que l'insécurité chronique, marquée par la prolifération des milices, la criminalité organisée transnationale, les interférences étrangères et l'effondrement de la gouvernance locale, ne peut être appréhendée sans une lecture géostratégique des dynamiques régionales.
Selon lui, "la crise sécuritaire actuelle exige une refonte doctrinale des principes mêmes de la défense nationale et de la sécurité intérieure."
Les provinces orientales, notamment le Nord-Kivu, le Sud-Kivu et l'Ituri, sont des zones de friction géopolitique où se mêlent les ambitions régionales et les vastes ressources naturelles de la RDC. Le Professeur Sambokera identifie trois vecteurs superposés de déstabilisation :
Une guerre d'annexion déguisée : Principalement menée par le M23, avec le soutien du Rwanda, visant à prendre le contrôle direct des gisements miniers stratégiques (coltan, or, étain). Un conflit asymétrique prolongé : Alimenté par la fragmentation de plus de 120 groupes armés locaux et étrangers (ADF, CODECO, Mai-Mai, etc.).
Une guerre informationnelle : L'opinion publique est soumise à des récits diplomatiques ambigus, tendant à estomper la responsabilité des États impliqués dans l'agression.
Le Professeur Sambokera soutient que "la doctrine sécuritaire actuelle repose toujours sur des paradigmes classiques de maintien de l'ordre et de souveraineté formelle." Or, l'adversaire de la RDC n'est ni conventionnel ni facilement identifiable. Il bénéficie d'un soutien étatique structuré (renseignement, armement, logistique) et opère par dissimulation, infiltration et stratégie.
En conséquence, la sécurité intérieure congolaise est "prise de court par une asymétrie doctrinale et opérationnelle." Elle souffre d'un manque de vision intégrée combinant une véritable maîtrise du territoire, une gouvernance sécuritaire décentralisée et l'intégration de l'intelligence stratégique dans l'élaboration des politiques.
Vers une Refondation Stratégique de la Sécurité Intérieure
Réarmement de la doctrine militaire congolaise : La RDC doit impérativement élaborer une nouvelle doctrine militaire de défense territoriale et populaire, adaptée aux menaces spécifiques qu'elle affronte. Cela implique la création de zones opérationnelles intégrées dans toutes les zones de conflit, un redéploiement stratégique des unités en fonction des vulnérabilités nationales, et l'intégration des facteurs psychologiques, linguistiques et communautaires dans la formation militaire.
Mise en place effective de l'École Nationale de Formation Idéologique et Patriotique : La création de cette école, rattachée à l'Université des Martyrs du Congo (UNIM-RDC), est un levier fondamental pour la "transformation mentale, doctrinale et patriotique du citoyen congolais." Le professeur est convaincu qu' "avant de transformer le Congo, il faut d'abord transformer le Congolais." Cette institution devrait assurer la formation doctrinale des élites sécuritaires et de défense, la rééducation idéologique des cadres de l'État et la construction d'un nouvel imaginaire national basé sur la résilience et la souveraineté.
Création d'une École Nationale des Mines, de l'Eau et des Forêts : Face aux nouvelles menaces environnementales, hydriques et géoéconomiques, la RDC doit se doter d'une telle école. Son rôle serait de former des ingénieurs stratégiques conscients des enjeux géopolitiques liés aux ressources naturelles, d'anticiper les futurs conflits autour de l'eau, des forêts tropicales et des minerais stratégiques, et de préparer l'État congolais à une défense environnementale et économique intégrée.
En conclusion de son analyse, le Professeur Alain Alisa Job Sambokera affirme que la sécurité intérieure de la RDC ne pourra être rétablie sans une rupture doctrinale et une vision stratégique profondément nationale. Les menaces actuelles dépassent la simple violence physique ; elles englobent l'infiltration cognitive, la guerre de l'information et la manipulation économique. Pour lui, "refonder la sécurité intérieure de la RDC, c'est refonder l'homme congolais dans sa conscience géopolitique, militaire, environnementale et patriotique."
Daudi Amin