
Alors que la situation sécuritaire demeure critique dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC), des habitants de Goma expriment leur ras-le-bol face aux discours de haine visant la communauté tutsi. Pour eux, cette rhétorique n’est qu’un prétexte utilisé pour justifier la guerre qui ravage le Nord et le Sud-Kivu.
« Nous n’avons pas de problème avec les Tutsi »
Julienne Ngeleza (nom d’emprunt pour des raisons de sécurité), une habitante de Goma, rejette l'idée d'une haine généralisée contre les Tutsi au Nord-Kivu : « Je suis née à Goma. Tous mes amis d'enfance étaient de toutes les tribus confondues, et jusqu'aujourd’hui, nous vivons ensemble comme des frères. En 1996, on a tenté de nous faire croire que les Hutu étaient nos ennemis, tout en nous accusant de détester les Tutsi. Mais ce qui est vrai, et que le monde doit comprendre, c'est qu’au Nord-Kivu, nous n'avons pas de problème avec les Tutsi ».
Une haine ciblée contre les élites politiques ?
Faustin Mwira, un autre habitant de Goma, reconnaît qu’à certains moments, une forme de méfiance a existé envers certains Tutsi, mais il précise que cette tension concerne surtout ceux engagés en politique.
« Oui, il est arrivé un moment où nous avons ressenti de la haine contre certains membres de la communauté tutsi. Je dis bien certains, surtout ceux qui sont dans la politique, car ils ont une gâchette facile contre les membres des autres communautés. Mais dire que nous avons de la haine contre tous les Tutsi, c'est juste une justification pour qu'ils mènent la guerre au Nord et au Sud-Kivu. Et dans tout ça, les vraies victimes restent toujours les autres communautés », a-t-elle déclaré.
Un autre habitant évoque la longue histoire de coexistence pacifique entre les communautés à Goma et dans d’autres villes du Nord-Kivu.
« Nous avons connu plusieurs familles tutsi Congolaises à Goma, dans des quartiers comme Office, Virunga et Birere. On a grandi ensemble. Ils étaient des partenaires d’affaires de nos parents. Pourquoi soudainement devrions-nous avoir de la haine contre eux ? J’ai étudié avec plusieurs Tutsi, certains travaillent aujourd’hui dans des entreprises publiques rwandaises, et nous gardons toujours cette amitié. À Beni, où j’ai travaillé, j’ai collaboré avec des Tutsi dans le secteur du bois. Nous avions même des autorités rwandophones, comme l’ancienne maire adjointe Angel Nyirabitaro ou encore le colonel Bisamaza. Tout se passait bien avec eux. Nous n'avons pas de haine contre qui que ce soit. Si on veut justifier la guerre, qu'on trouve un autre prétexte, mais pas celui-là », a-t-il dit.
Ces témoignages illustrent un malaise profond : la manière dont la question ethnique est manipulée pour alimenter le conflit. Au Nord-Kivu, beaucoup refusent d’être entraînés dans un cycle de haine qui ne sert que les intérêts de ceux qui profitent de la guerre.
Dans un contexte où les tensions entre la RDC et le Rwanda restent vives, ces voix rappellent que la coexistence est possible et que la solution au conflit ne peut pas passer par la division des communautés.
Diddy MASTAKI